L’histoire a été injuste envers Wilfrid Derome. Né en 1877, il a acquis sa spécialisation en médecine légale, de 1908 à 1910, en France, alors la mecque des sciences judiciaires. À son retour, après moult démarches auprès du premier ministre Lomer Gouin, Derome fonde un laboratoire de recherches médico-légales ultramoderne, le premier du genre en Amérique. À la fois toxicologue, balisticien, biologiste, graphologue, photographe judiciaire et médecin légiste, Wilfrid Derome s’est battu toute sa vie pour faire reconnaître l’expertise médicolégale devant les tribunaux, idée audacieuse pour l’époque.

Qui se souvient de Wilfrid Derome ? Ce grand médecin légiste du début du siècle a pourtant marqué l’histoire judiciaire du Québec en mettant sur pied, en 1914, le laboratoire médico-légal de Montréal, le premier en Amérique. Expert de renommée internationale, il témoignait régulièrement devant les tribunaux comme spécialiste en balistique, graphologie, etc. L’excellent ouvrage que consacre le romancier Jacques Côté à ce pionnier vient réparer cette amnésie historique.

Le romancier, auteur du Rouge idéal, a bénéficié d’une bourse remportée dans le cadre du premier grand prix La Presse de la biographie pour composer ce “récit biographique” fort soigneusement écrit et documenté, qui se lit comme un roman. Il fait revivre le docteur né en 1877 en relatant les causes criminelles auxquelles il a été mêlé. Ce réformateur humaniste se faisait l’apôtre de la science moderne. “Puisque la balistique représente un champ d’étude récent en criminologie, Derome doit établir devant le jury la pertinence de sa preuve en faisant apparaître au grand jour ce qui est invisible à l’œil nu.”

Outre les méthodes du médecin qui font l’objet de descriptions techniques, c’est le récit de célèbres affaires judiciaires qui captivera surtout les amateurs de romans policiers dans ce livre généreusement illustré : les procès successifs de l’abbé Delorme, le hold-up de la Banque d’Hochelaga, même le martyr de la petite Aurore…

En s’attachant à décrire certains crimes aujourd’hui disparus – ceux des “faiseurs d’anges” ou des empoisonneurs à l’alcool frelaté –, l’auteur dessine l’éloquent portrait d’une époque. Passionnante leçon d’histoire pour ceux qui croient que la société moderne a le monopole de la violence crapuleuse…

Jacques Côté est l’auteur de plusieurs romans policiers qui lui ont valu, par trois fois, de remporter le prix Arthur-Ellis. Il enseigne la littérature au Cégep de Sainte-Foy.